
La crise ne s’éclaire que si l’on enquête sur les structures qui la sous tendent. Comme dans toute maladie, les symptômes ne sont que des signes d’alerte…
Il nous faut questionner les « terrains » anthropologiques, philosophiques, scientifiques, économiques et sociaux qui ont conduit et légitimé une gestion aussi calamiteuse des écosystèmes et des ressources planétaires. Et comment expliquer tous les freins à l’action de rectification, malgré les prises de conscience actuelle ? Au total, pourquoi en sommes-nous arrivés là et pourquoi restons-nous si passifs, collectivement et individuellement -?
L’un des grands éclairages concerne la vision du monde qui est le creuset des difficultés environnementales. En cela, les investigations de l’anthropologie nous enseignent. Avec la modernité, naquit une nouvelle cosmologie, cadre du développement de la pensée scientifique. Alors, « la nature cessa d’être une disposition unifiant les choses les plus disparates pour devenir un domaine d’objets régi par des lois autonomes », selon les mots de Philippe Descola dans son livre magistral « Par delà nature et culture » (Bibliothèque des sciences humaines, NRF-Gallimard-2005-p.9). Les anthropologues nous rappellent que les schèmes régissant les rapports entre nature et société sont multiples et que le naturalisme de la modernité - le dualisme homme/nature, l’objectivation de cette même nature - n’est qu’un avatar relativement récent et à revisiter : « L’édifice dualiste est certes encore solide, d’autant qu’on le restaure sans relâche… pourtant ses défauts de structure apparaissent de plus en plus manifestes… l’anthropologie de la culture doit se doubler d’une anthropologie de la nature » (Descola p. 15).
Il nous faut questionner les « terrains » anthropologiques, philosophiques, scientifiques, économiques et sociaux qui ont conduit et légitimé une gestion aussi calamiteuse des écosystèmes et des ressources planétaires. Et comment expliquer tous les freins à l’action de rectification, malgré les prises de conscience actuelle ? Au total, pourquoi en sommes-nous arrivés là et pourquoi restons-nous si passifs, collectivement et individuellement -?
L’un des grands éclairages concerne la vision du monde qui est le creuset des difficultés environnementales. En cela, les investigations de l’anthropologie nous enseignent. Avec la modernité, naquit une nouvelle cosmologie, cadre du développement de la pensée scientifique. Alors, « la nature cessa d’être une disposition unifiant les choses les plus disparates pour devenir un domaine d’objets régi par des lois autonomes », selon les mots de Philippe Descola dans son livre magistral « Par delà nature et culture » (Bibliothèque des sciences humaines, NRF-Gallimard-2005-p.9). Les anthropologues nous rappellent que les schèmes régissant les rapports entre nature et société sont multiples et que le naturalisme de la modernité - le dualisme homme/nature, l’objectivation de cette même nature - n’est qu’un avatar relativement récent et à revisiter : « L’édifice dualiste est certes encore solide, d’autant qu’on le restaure sans relâche… pourtant ses défauts de structure apparaissent de plus en plus manifestes… l’anthropologie de la culture doit se doubler d’une anthropologie de la nature » (Descola p. 15).

Il a existé - et il existe encore – d’autres cosmologies dont certaines n’opèrent pas de distinctions ontologiques tranchées entre les humains et les « autres », qui ne discriminent pas entre humains et non humains, esprits, plantes, animaux, tous dotés d’une âme, communiquant et « faisant société » avec les hommes. Dans ces représentations, tout est interrelations. Il en est ainsi, depuis l’Amazonie jusqu’à l’Arctique, en passant par la Sibérie ou les perceptions aborigènes d’Australie, etc.
La chasse y est une interaction sociale où s’impose le respect des animaux, qui nécessite même leur connivence. Chez les Achuar de haute Amazonie, le jeune chasseur tuant son premier gibier doit s’abstenir de le manger et accorder un rituel particulier aux restes de l’animal. Philippe Descola
insiste : « L’environnement doit ici être pris au pied de la lettre : il est ce qui relie et constitue les humains comme expressions multiples d’un ensemble qui les dépasse…. La manière dont l’Occident moderne se représente la nature est la chose du monde la moins bien partagée. Dans de nombreuses régions de la planète, humains et non humains ne sont pas conçus comme se développant dans des mondes incommunicables et selon des principes séparés ; l’environnement n’est pas objectivé comme une sphère autonome ; les plantes et les animaux, les rivières et les rochers, les météores et les saisons n’existent pas dans une même niche ontologique définie par son défaut d’humanité. Et cela semble vrai quelque soient par ailleurs les caractéristiques écologiques locales, les régimes politiques et les systèmes économiques, les ressources accessibles et les techniques mises en œuvre pour les exploiter ». (p. 55-57). La nature objectivée, au sens où nous l’entendons, la distinction entre « sauvage » et « domestique », ne sont pas des normes universelles.
La chasse y est une interaction sociale où s’impose le respect des animaux, qui nécessite même leur connivence. Chez les Achuar de haute Amazonie, le jeune chasseur tuant son premier gibier doit s’abstenir de le manger et accorder un rituel particulier aux restes de l’animal. Philippe Descola
insiste : « L’environnement doit ici être pris au pied de la lettre : il est ce qui relie et constitue les humains comme expressions multiples d’un ensemble qui les dépasse…. La manière dont l’Occident moderne se représente la nature est la chose du monde la moins bien partagée. Dans de nombreuses régions de la planète, humains et non humains ne sont pas conçus comme se développant dans des mondes incommunicables et selon des principes séparés ; l’environnement n’est pas objectivé comme une sphère autonome ; les plantes et les animaux, les rivières et les rochers, les météores et les saisons n’existent pas dans une même niche ontologique définie par son défaut d’humanité. Et cela semble vrai quelque soient par ailleurs les caractéristiques écologiques locales, les régimes politiques et les systèmes économiques, les ressources accessibles et les techniques mises en œuvre pour les exploiter ». (p. 55-57). La nature objectivée, au sens où nous l’entendons, la distinction entre « sauvage » et « domestique », ne sont pas des normes universelles.

Chacun de nous est l’héritier d’un schème culturel spécifique éduquant sa sensibilité. Confronté à la crise écologique qu’il a fait naître, l’Occident moderne devrait s’en souvenir, en tirer les leçons, et méditer sur ce que signifie l’oxymore de « nature humaine » qu’il prône pourtant !
Cette crise nous confronte à des questionnements majeurs qui seront nos fils conducteurs à partir de septembre et la reprise de ces chroniques. Quelles relations se jouent entre l’Homme et la Nature ? A quelle ontologie se référer ? Quel choix éthique opérer face à l’ « Autre », non humain ?
La « crise environnementale » est un lieu où s’affrontent différentes représentations de la relation de l’homme à la nature. A nous de les découvrir pour pouvoir mieux nous situer, en conscience.
- Dans l’univers mécaniciste dominant, celui du dualisme radical Homme/Nature, l’humain est étranger aux écosystèmes et fait le choix du quantitatif sur le qualitatif, du temps court sur le temps long. Ceci nous conduira à questionner le rôle de la science dans ce schème dominé par ce qu’Olivier Rey appelle « l’absurdité contemporaine » dans son ouvrage : « Itinéraire de l’égarement, du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine » - Le Seuil - 2003.
- L’univers du Vivant, a contrario, est celui des interrelations - interdépendances, des approches systémiques de l’unité de toute la biosphère. Dans cette vision, l’homme inter - agit avec tout le vivant et avec le biotope, support du vivant. Au centre de la représentation, il y a co-évolution, éco - évolution, éco –développement. La fécondité d’une telle représentation est à creuser, mais elle se décline en plusieurs approches.
Ainsi, la « Deep Ecology », l’« Ecologie profonde », privilégie les systèmes et les espèces par rapport aux individus, y compris l’homme. Cette pensée, initiée par le philosophe Arne Ness, est un support de réflexion mais elle est souvent source de malentendus.
- L’univers thermodynamique voit la Terre comme un grand système fermé, à énergie constante. C’est une vision de la contrainte écologique absolue et de l’idée de croissance zéro. Ce qui nous amènera à interroger le paradigme des tenants d’une économie de la « décroissance » ou de la « malcroissance ».
Il n’y aura pas de solutions à la crise environnementale, elle-même signe de dysfonctionnements plus profonds, sans réponses à de nombreuses interrogations structurelles.
Il n’y aura pas de solutions à la crise environnementale sans choix clair d’un nouveau paradigme de civilisation.
Chantal Delacotte.
Géographe, agrégée de l’Université. Après sa carrière dans l’Enseignement Supérieur, comme professeur de Chaire Supérieure en Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles, elle anime des rencontres sur les relations entre sociétés et écosystèmes
Cette crise nous confronte à des questionnements majeurs qui seront nos fils conducteurs à partir de septembre et la reprise de ces chroniques. Quelles relations se jouent entre l’Homme et la Nature ? A quelle ontologie se référer ? Quel choix éthique opérer face à l’ « Autre », non humain ?
La « crise environnementale » est un lieu où s’affrontent différentes représentations de la relation de l’homme à la nature. A nous de les découvrir pour pouvoir mieux nous situer, en conscience.
- Dans l’univers mécaniciste dominant, celui du dualisme radical Homme/Nature, l’humain est étranger aux écosystèmes et fait le choix du quantitatif sur le qualitatif, du temps court sur le temps long. Ceci nous conduira à questionner le rôle de la science dans ce schème dominé par ce qu’Olivier Rey appelle « l’absurdité contemporaine » dans son ouvrage : « Itinéraire de l’égarement, du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine » - Le Seuil - 2003.
- L’univers du Vivant, a contrario, est celui des interrelations - interdépendances, des approches systémiques de l’unité de toute la biosphère. Dans cette vision, l’homme inter - agit avec tout le vivant et avec le biotope, support du vivant. Au centre de la représentation, il y a co-évolution, éco - évolution, éco –développement. La fécondité d’une telle représentation est à creuser, mais elle se décline en plusieurs approches.
Ainsi, la « Deep Ecology », l’« Ecologie profonde », privilégie les systèmes et les espèces par rapport aux individus, y compris l’homme. Cette pensée, initiée par le philosophe Arne Ness, est un support de réflexion mais elle est souvent source de malentendus.
- L’univers thermodynamique voit la Terre comme un grand système fermé, à énergie constante. C’est une vision de la contrainte écologique absolue et de l’idée de croissance zéro. Ce qui nous amènera à interroger le paradigme des tenants d’une économie de la « décroissance » ou de la « malcroissance ».
Il n’y aura pas de solutions à la crise environnementale, elle-même signe de dysfonctionnements plus profonds, sans réponses à de nombreuses interrogations structurelles.
Il n’y aura pas de solutions à la crise environnementale sans choix clair d’un nouveau paradigme de civilisation.
Chantal Delacotte.
Géographe, agrégée de l’Université. Après sa carrière dans l’Enseignement Supérieur, comme professeur de Chaire Supérieure en Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles, elle anime des rencontres sur les relations entre sociétés et écosystèmes